Chapitre 1 : La Machine Infernale

Dans la ville de Chronopolis, tout le monde vivait selon le tic-tac incessant de la Grande Horloge Centrale. Surtout un homme, Arthur, l’Horloger de la place.
Pour Arthur, la période juste avant le Solstice de Lumière (leur fête équivalente à Noël) était une torture. Il ne cherchait pas la Lumière ; il cherchait le Parfait. Il fallait que le Ruban soit parfaitement bouclé, que la Dinde soit parfaitement rôtie, que les Cadeaux soient parfaitement pensés.
Chaque soir du 1er au 23 décembre, Arthur rentrait chez lui, épuisé, les mains pleines de listes raturées. Sa femme, Élise, le regardait avec patience.
« Arthur, tu passes ton temps à préparer la fête, mais n’as-tu pas peur de manquer la fête elle-même ? »
Arthur haussait les épaules : « Si ce n’est pas parfait, Élise, il n’y a rien à manquer. »
Chapitre 2 : La Minute Zéro
Le 24 décembre au soir, le chaos atteignit son apogée. Arthur avait promis d’installer l’Étoile au sommet du Mât de la Place. Mais il lui restait encore une douzaine de petits réglages à faire sur les mécanismes des décorations.
À 19h59, il était en sueur, juché sur une échelle bancale, avec un chronomètre dans la poche. Il restait une minute avant le signal qui devait lancer toutes les lumières.
Trente secondes. Il vérifiait la tension d’un câble. Vingt secondes. Il réalisait qu’il avait oublié le petit cadeau pour le concierge. Dix secondes. Il se souvenait qu’il n’avait même pas enfilé sa veste de fête.
Son cœur battait au rythme frénétique de la Grande Horloge. Il n’était plus qu’une extension de sa liste de tâches.
Chapitre 3 : L’Interruption
À 20h00 pile, au lieu du bruit strident du signal, il y eut un silence assourdissant.
L’Étoile n’était pas allumée. Les lumières décoratives n’avaient pas clignoté. La Grande Horloge Centrale venait de s’arrêter.
Arthur resta figé, suspendu entre ciel et terre. Il s’attendait à la colère de la foule, aux cris de déception. Au lieu de cela, il entendit… rien.
Il descendit lentement de l’échelle. Les rues n’étaient pas noires, car chaque foyer avait allumé ses propres lumières intérieures, créant un patchwork doux et chaleureux, loin des projecteurs prévus.
Il s’approcha de la Grande Horloge. Son énorme balancier était immobile. Un simple grain de poussière s’était glissé dans le mécanisme de l’arrêt d’urgence.
Chapitre 4 : La Vraie Lumière
Au lieu de paniquer et de se précipiter pour réparer, Arthur regarda autour de lui.
Devant la Grande Horloge arrêtée, les gens ne se plaignaient pas. Ils n’attendaient plus le signal. Ils avaient commencé à parler, à rire doucement. Des enfants pointaient du doigt la vraie lune et non les néons.
Arthur s’assit sur la marche la plus proche. Il sentit le froid piquant de l’air sur son visage et, pour la première fois de la soirée, il sentit son propre corps, et non les aiguilles du temps.
Élise s’approcha, souriante, un thermos à la main.
« L’Horloge est arrêtée, Arthur. »
« Oui, » répondit-il. « Et tu sais quoi, Élise ? Je crois que l’attente est enfin finie parce que j’ai arrêté de la mesurer. Je n’ai plus besoin de l’horloge pour savoir qu’il est temps. »
Arthur comprit. La fin de l’attente n’était pas un événement à réaliser, mais un état d’être à embrasser. C’était le moment où l’on dépose les listes et les chronomètres, et où l’on se permet, enfin, d’être présent au lieu de préparer.
Il ne répara pas la Grande Horloge cette nuit-là. Il rentra chez lui, et pour la première fois depuis des semaines, il s’assit simplement, savoura une tasse chaude et regarda les lumières tremblantes sur le visage d’Élise. C’était imparfait, mais c’était réel. C’était Noël.

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