Il était une fois, au cœur du royaume de Cylindre, un atelier réputé pour fabriquer les horloges les plus précises du monde. Dans cet atelier travaillaient deux assistants, Zéphyr et Chronos, sous les ordres du Maître Horloger, un homme brillant mais obsessionnel des procédures.

Un jour, le Maître reçut une commande urgente : livrer une pièce maîtresse, la Boussole Solaire, au roi Vélum, situé de l’autre côté de la Montagne du Grand Silence.

« Zéphyr, » ordonna le Maître, désignant un coffre en bois brut, « tu prendras ce coffre. Suis rigoureusement la Route des Mille Pas tracée sur cette carte. Ne t’en écarte jamais. Au bout du chemin, tu rencontreras une rivière. Tu traverseras grâce à la barque amarrée, puis tu monteras vers l’est. Rapporte-moi la contremarque. »

Zéphyr, jeune et avide de reconnaissance, hocha la tête et partit. Son cœur battait de l’excitation de l’obéissance parfaite.

Chronos, le second assistant, regardait la carte. Il murmura : « La Route des Mille Pas… elle traverse la Plaine des Brouillards en cette saison. »

Le Maître, sans lever les yeux de ses mécanismes, lui donna une tâche banale : « Chronos, tu poliras ces micro-hélices. »

Trois jours plus tard, Chronos était toujours dans l’atelier, polissant ses hélices. Zéphyr n’était pas rentré.

Le Maître, irrité, lui demanda : « Tu as fini cette hélice ? »

« Non, Maître, » répondit Chronos, désignant le travail. « J’ai poli six hélices. Mais l’hélice de la Boussole Solaire, celle qui stabilise la rotation, était faite en étain. J’ai pris l’initiative de la refaire en alliage de titane pour qu’elle résiste au froid de la Montagne du Grand Silence. Elle sera prête dans une heure. »

Le Maître fronça les sourcils. « Je t’avais ordonné de polir, pas de refaire les pièces ! L’obéissance est le moteur de cet atelier ! »

Au même instant, Zéphyr revint. Il était trempé, frigorifié, et le coffre qu’il tenait était plein d’eau.

« Maître, j’ai suivi scrupuleusement la Route des Mille Pas ! Mais la carte n’indiquait pas que la Plaine des Brouillards était inondée. L’eau a submergé la route. Et la barque à la rivière n’était plus là, elle avait été emportée par la crue. J’ai marché sans dévier, mais j’ai dû traverser à la nage. La Boussole… » Il ouvrit le coffre. Le délicat mécanisme flottait dans la boue.

Le Maître Horloger s’effondra sur son tabouret.

« Tu t’es contenté d’obéir aux instructions sans tenir compte de la réalité du terrain ! »

« Mais vous m’aviez dit de ne jamais dévier ! » se défendit Zéphyr.

Le Maître Horloger se tourna vers Chronos, le visage soudain plein d’une compréhension nouvelle.

« Chronos, toi qui as ‘désobéi’ à mon ordre de te contenter de polir l’hélice initiale, pourquoi as-tu perdu ton temps à la refaire ? »

« Maître, » dit Chronos, « la Boussole Solaire doit traverser le froid de la montagne. Une hélice en étain aurait cédé au gel ou à la dilatation. L’ordre ultime n’était pas de polir, mais d’assurer que la boussole arrive intacte. J’ai exécuté l’intention derrière l’ordre. J’ai aussi envoyé un message par pigeon voyageur au Passeur des Crues pour vérifier l’état du pont de secours près de la plaine. Il est libre. »

Le Maître soupira, prenant la nouvelle hélice en titane : « En me désobéissant, tu as obéi à ma mission véritable ! »

Chronos prit le coffre endommagé de Zéphyr et installa la boussole avec la nouvelle hélice. Il partit immédiatement, prenant cette fois le Chemin des Bergers, plus long, mais sec et sûr.

Le Maître Horloger changea alors la devise de son atelier : « Nous ne fabriquons pas des suiveurs de pas. Nous formons des agents qui font de la réussite de la mission leur propre boussole. Ici, l’obéissance n’est pas la répétition, mais l’intelligence au service de l’objectif. »

Et c’est ainsi que l’atelier de Cylindre devint célèbre non seulement pour ses horloges précises, mais surtout pour l’esprit actif de ses assistants.

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