Il Ă©tait une fois, au cƓur d’un pays sans nom, une CitĂ© bĂątie au confluent de trois sources. On disait que c’est de lĂ  que venait la puissance de la ville, car elles reprĂ©sentaient les trois piliers de l’ordre social.

  1. La Source de la Loi, claire et rigide, symbolisait le Code et les rÚgles écrites.
  2. La Source du Jugement, profonde et sombre, alimentait le Tribunal et ses juges.
  3. La Source du Peuple, vive et impétueuse, était celle de tous les citoyens.

Au centre de la citĂ©, un grand Miroir d’ÉquitĂ© captait la lumiĂšre des trois sources. Tant qu’elles coulaient de maniĂšre Ă©gale, le miroir reflĂ©tait une image nette de la Justice.


Le Juge de Pierre et la Plume d’Or

Dans le Tribunal, siĂ©geait Juge Varek, un homme dont la rĂ©putation Ă©tait aussi dure que la pierre. Il connaissait la Source de la Loi par cƓur, mais ne buvait jamais Ă  la Source du Peuple. Il jugeait Ă  l’aune de l’Ă©crit seul, sans se soucier des larmes ou des cris. La Source du Jugement, sous son autoritĂ©, devint stagnante.

Un jour, une simple Tisseuse nommĂ©e Elara, dont l’atelier avait Ă©tĂ© volĂ© par un puissant NĂ©gociant, se prĂ©senta devant lui. Le NĂ©gociant avait corrompu les tĂ©moins, et ses avocats connaissaient les failles de la Loi.

Elara n’avait que sa voix pour plaider. — « Juge Varek, dit-elle, l’article sept de la Loi est un mur, mais l’esprit de l’article est un pont. Le NĂ©gociant a pris mon gagne-pain ! » — « La Loi ne voit pas l’esprit, elle ne voit que la preuve, rĂ©pondit Varek avec un soupir d’ennui. Le dossier est incomplet. Votre affaire sera classĂ©e. »

Varek pensait s’ĂȘtre dĂ©barrassĂ© d’elle. Mais Elara, se souvenant que la Justice Ă©tait un devoir, et non une faveur, refusa de partir.


La Force de la Goutte d’Eau 💧

Elara ne revint pas le lendemain. Elle revint le jour d’aprĂšs, et celui d’aprĂšs encore. Elle ne criait pas, elle ne menaçait pas ; elle s’asseyait simplement devant le Tribunal, tenant un petit seau qu’elle avait rempli Ă  la Source du Peuple.

Chaque fois que le Juge Varek sortait, Elara se levait et, d’un geste dĂ©libĂ©rĂ©, versait une seule goutte d’eau de son seau sur le pavĂ© du Tribunal, juste devant la Source du Jugement, en murmurant : « L’Ă©quitĂ© est le droit, non la pitiĂ©. »

Au dĂ©but, Varek l’ignora. Puis, il s’irrita : « Quelle obstination inutile ! Je t’ai dit que ta cause est perdue ! »

Mais Elara continuait. La Source du Peuple se mit Ă  murmurer, imitant son geste. Les autres citoyens, fatiguĂ©s de voir la justice tordue par les puissants, commencĂšrent Ă  faire comme elle. Des dizaines, puis des centaines de personnes, vinrent verser leur goutte d’eau sur le pavĂ© du Tribunal, rappelant Ă  Varek son devoir.

Le Juge Varek avait ignorĂ© le torrent, mais il ne put ignorer la multitude de gouttes. Le pavĂ© devant la Source du Jugement se mit Ă  luire d’humiditĂ©, puis Ă  glisser. La Source du Jugement elle-mĂȘme, sous l’afflux d’eau fraĂźche de la Source du Peuple, se remit Ă  couler, emportant les saletĂ©s et les mousses stagnantes.


Le Miroir RĂ©flĂ©chit la VĂ©ritĂ© 🌟

Un matin, Varek sortit du Tribunal et faillit glisser sur le pavĂ© dĂ©trempĂ©. Il leva les yeux. Le Miroir d’ÉquitĂ© au centre de la CitĂ© n’Ă©tait plus net. La Source de la Loi Ă©tait toujours claire, mais le Miroir reflĂ©tait dĂ©sormais une image floue et dĂ©formĂ©e, car la Source du Jugement s’Ă©tait mĂȘlĂ©e Ă  l’eau tumultueuse de la Source du Peuple.

Varek comprit alors que son jugement n’Ă©tait pas juste, mais seulement lĂ©gal. L’insistance d’Elara n’Ă©tait pas de l’obstination, mais la force de l’Ă©vidence de son droit. Il rĂ©alisa qu’une justice sans l’approbation du peuple est une loi morte.

Il convoqua Ă  nouveau Elara et le NĂ©gociant. — « La Loi est inflexible, dit Varek. Mais la fonction du Juge est de veiller Ă  ce que la Source du Jugement soit alimentĂ©e par la vĂ©ritĂ©. Le dĂ©sordre que tu causes, Tisseuse, rĂ©vĂšle l’ordre que je n’ai pas maintenu. »

Il ne se basa plus uniquement sur le dossier viciĂ©, mais fit une enquĂȘte d’Ă©thique et de moralitĂ©. Il dĂ©couvrit la tricherie du NĂ©gociant et rĂ©tablit Elara dans son droit.

Le Miroir d’ÉquitĂ© redevint lumineux, mais il ne reflĂ©tait plus une justice rigide. Il montrait une image vivante et fluctuante, oĂč la Loi (la forme) Ă©tait toujours tempĂ©rĂ©e et Ă©clairĂ©e par les besoins et la persĂ©vĂ©rance du Peuple (l’esprit).

Et depuis ce jour, la CitĂ© se souvient que l’Ă©quitĂ© n’est jamais donnĂ©e par les puissants, mais arrachĂ©e, goutte aprĂšs goutte, par la constante vigilance de ceux qui croient en leur droit.

Laisser un commentaire