L’Évangile de Luc 15, 1-10 est encadré par le murmure des Pharisiens et des Scribes : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » Ce murmure est plus qu’une simple critique ; il est le scandale de la sainteté figée face à la sainteté en mouvement de Jésus.

Leur vision de Dieu était celle d’un juge qui sépare strictement les « justes » (ceux qui respectent la Loi) des « pécheurs » (ceux qui en sont éloignés). Jésus, au contraire, révèle un Dieu qui transcende les catégories rituelles pour affirmer une sainteté qui se manifeste par la recherche passionnée de ce qui est perdu. Le fait qu’il mange avec eux (partage de la table) est un signe prophétique de la communion et de la réintégration que Dieu offre.

Le Paradoxe de la Recherche Dégagée

Les deux paraboles illustrent un paradoxe spirituel et économique :

  1. Le Berger qui Laisse les 99 (La Brebis Perdue) :
    • L’Absolu de l’Amour : Sur le plan logique, laisser 99 en sécurité pour chercher 1 est déraisonnable. Sur le plan théologique, cela révèle que l’amour de Dieu n’est pas une simple arithmétique. La brebis perdue est l’âme humaine, blessée et errante. Le geste du berger est le Kénose de Dieu – l’abaissement et l’effort déployé par le Fils (le Bon Pasteur) qui quitte la gloire et la sécurité pour nous rejoindre dans notre « désert ». La valeur de l’âme est telle qu’elle justifie un effort total, même au péril du reste (bien que les 99 soient confiés à la providence).
    • La Charge : Quand il la retrouve, le berger la prend sur ses épaules. Cela n’est pas seulement un acte pratique, c’est une image de la rédemption. Le Christ prend sur lui le fardeau, la faute, l’égarement de la brebis. C’est le sens même de la Croix.
  2. La Femme qui Balaye (La Drachme Perdue) :
    • Perdue dans l’Ordinaire : La drachme (équivalent à un denier, un salaire journalier) est une petite perte, mais elle représente 10% de sa fortune. De plus, elle est perdue à l’intérieur de la maison. Cette parabole parle de ceux qui sont perdus spirituellement tout en étant « à la maison » – au milieu de la communauté, mais dans l’ombre et la poussière de l’inattention ou de la négligence.
    • Le Rôle de la Lumière : La femme allume une lampe et balaye avec soin. Cela symbolise l’action de l’Esprit Saint et de la Parole de Dieu (la lampe, le balai), qui éclairent les recoins sombres du cœur et de la conscience. La conversion nécessite la lumière de Dieu et un effort de purification (balayer) pour retrouver ce qui est d’image divine.

La Théologie de la Joie Céleste

Le point essentiel de l’ensemble du récit est la Joie : « Il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit. »

Cette joie a une triple dimension :

  1. La Joie de Dieu (Le Père) : Le retour du pécheur (le pénitent) n’est pas un simple retour à la normale ; il est l’accomplissement du désir le plus profond de Dieu. La joie de Dieu est la plénitude de l’Amour qui se réalise dans la réconciliation.
  2. La Joie des Anges (La Communauté Céleste) : La joie de la conversion est un événement cosmique. Elle se déroule « devant les anges de Dieu ». Cela souligne l’importance objective, universelle, de chaque conversion. L’Église n’est pas seulement terrestre, elle est céleste, et elle célèbre le salut de chacun.
  3. L’Appel à la Joie Partagée (L’Église) : Le berger et la femme appellent leurs amis et voisins à partager leur joie : « Réjouissez-vous avec moi. » C’est une injonction pour les auditeurs de Jésus (et pour nous) à rejeter le jugement des Scribes et des Pharisiens et à embrasser la fête de la Miséricorde. L’amour chrétien se vérifie dans la capacité à se réjouir du bien de l’autre, et particulièrement du retour de celui qui était perdu.

Application Spirituelle : Être Cherché et Chercheur

Cette Évangile nous appelle à une double posture :

  • 1. Me Laisser Chercher (Humilité) : Je dois reconnaître que je suis, à un moment ou à un autre, la brebis ou la drachme perdue. L’orgueil nous pousse à croire que nous sommes toujours parmi les 99 « justes ». La miséricorde commence par l’humilité de s’avouer perdu et d’accepter l’effort que Dieu fait pour nous.
  • 2. Être un Chercheur (Mission) : L’Église, corps du Christ, est appelée à imiter le Pasteur. Notre mission n’est pas d’attendre passivement les « pécheurs », mais d’aller activement à leur rencontre. Cela signifie :
    • Ne jamais mépriser un frère ou une sœur égaré(e).
    • Allumer la lampe de notre propre témoignage et de la charité.
    • Balayer la poussière du monde (le péché, l’injustice, l’oubli) pour révéler la présence de Dieu et la dignité des personnes.

En fin de compte, Luc 15, 1-10 est un manifeste de l’Évangile : le salut est une initiative de Dieu, qui cherche jusqu’à ce qu’il trouve, et dont le résultat est la joie parfaite.

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