Dans la Cité de l’Efficience, au cœur de l’année 2025, régnait un système appelé « Le Méta-Flux », un réseau tentaculaire qui gérait tout, des transports aux émotions. L’unité de valeur suprême était le « J’aime » virtuel, mesuré en milliards. Tout le monde cherchait à accumuler les « J’aime » pour garantir son statut et sa place dans les 99% d’individus « pertinents ».

Une programmeuse nommée Elara, l’une des architectes du Méta-Flux, passait ses journées à optimiser ce système. Elle vivait entourée de sa collection de cent galets lumineux, chacun représentant une réalisation professionnelle ou un succès social. Quatre-vingt-dix-neuf de ces galets brillaient d’un éclat constant et satisfaisant.
Mais un matin, Elara remarqua que le centième galet, celui qu’elle avait sculpté elle-même d’une roche qu’elle avait ramassée enfant, était éteint. Il ne produisait plus la douce lumière du succès validé.
Elara se dit d’abord : « Qu’importe ? C’est un seul galet sur cent. Statistiquement, ma performance est excellente. Je dois me concentrer sur les 99 qui génèrent de la valeur. » C’était l’écho de la Cité de l’Efficience.
Pourtant, une curiosité tenace l’empêcha de continuer. Ce galet éteint symbolisait la dernière parcelle de sa propre créativité pure, non monétisée, non validée par le Flux. C’était son éclat manquant.
Elle réalisa qu’elle ne pouvait pas continuer à jouir de l’éclat des 99 tant que celui-là, l’unique, restait dans l’ombre.
Elara débrancha alors l’algorithme de productivité qui optimisait ses 99 galets et se lança dans une quête absurde aux yeux de ses collègues.
- Elle alluma la Lampe : Elle éteignit toutes ses interfaces numériques et alluma une vieille lampe à huile (symbole d’une attention lente et focalisée).
- Elle Balaya la Maison : Elle ne chercha pas le galet dans le chaos extérieur du Méta-Flux, mais dans les recoins oubliés de son propre atelier, sous la poussière des projets abandonnés, parmi les dessins et les carnets de notes d’avant sa carrière d’optimisatrice.
Elle chercha pendant deux jours, sans dormir. Elle revécut ses doutes d’enfance, ses rêves mis de côté, la pression qu’elle s’était imposée pour devenir une personne « pertinente ».
Finalement, cachée sous une pile de câbles obsolètes, elle trouva non pas le galet éteint, mais une micro-fissure sur le galet qui l’empêchait de s’illuminer.
Le galet n’était pas perdu, il était cassé.
Au lieu de le jeter, Elara prit une résine dorée (un ancien art japonais appelé Kintsugi) et, avec patience, elle répara la fissure. Elle ne la cacha pas; elle la magnifia.
Lorsque la résine sécha, le galet ne s’alluma plus avec la lumière froide des 99 galets standards. Il émit une lumière chaude et singulière, dont l’éclat venait précisément de sa ligne de faille réparée.
Elara posa le galet à côté des autres et comprit la joie parfaite : ce n’était pas la perfection des 100, mais la valeur irremplaçable de l’Unique réparé et accepté.
Sans se soucier du protocole de la Cité de l’Efficience, elle invita ses rares amis à venir voir le galet. « Regardez, » dit-elle. « J’ai retrouvé la partie de moi que j’avais oubliée. Réjouissez-vous avec moi ! »
Et pour la première fois dans la Cité de l’Efficience, la petite fête organisée autour d’un seul galet brisé, mais réparé avec amour, apporta une joie plus complète et plus humaine que des milliards de « J’aime » du Méta-Flux. Car cette joie était vraie; elle avait été cherchée et retrouvée au prix d’un effort total pour ce qui était, aux yeux de tous, insignifiant.

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