Il était une fois, dans un monde où chaque vie était un livre et chaque mort une page arrachée, une immense bibliothèque appelée L’Archive des Finitudes. C’était un endroit triste et froid, rempli de rayonnages silencieux où reposaient les tomes de tous les êtres humains, chacun attendant son inéluctable effacement.

Un jour, une jeune femme, nommée Lia, arriva à la fin de son volume. Son livre était mince, mais rempli d’une écriture dense et lumineuse. Elle n’avait pas eu le temps de marquer l’histoire ou de faire fortune, mais elle avait aimé.
Alors que l’archiviste, un homme usé par la tristesse, s’apprêtait à glisser son livre dans la section des « Vides » — là où les pages s’évanouissaient en poussière — Lia sourit.
« Avant que vous ne le rangiez, » dit-elle d’une voix douce, « veuillez simplement le lire, s’il vous plaît. »
L’archiviste, par politesse, ouvrit le livre. Il lut comment Lia avait consolé un ami brisé par le désespoir, comment elle avait appris à une vieille voisine à rire à nouveau, et comment, un jour de tempête, elle avait offert son unique parapluie à une enfant qui pleurait, acceptant de marcher seule sous la pluie.
En refermant le livre, l’archiviste remarqua un phénomène étrange. Le volume de Lia ne s’était pas transformé en poussière, mais il était devenu presque transparent.
« Que se passe-t-il ? » demanda-t-il, étonné.
Lia, déjà légère comme l’air, expliqua : « Chaque fois que j’ai donné sans attendre de retour, chaque fois que j’ai aimé en oubliant ma propre fin, je n’ai pas écrit dans mon propre volume. J’ai écrit dans celui des autres.»
Elle pointa du doigt, au hasard, plusieurs rayonnages :
- Le Livre de la Vieille Voisine portait une annotation éclatante à la page du « Bonheur Retrouvé » : « L’éclat de rire de Lia a réchauffé mon cœur.«
- Le Tome de l’Ami Désespéré avait une section entière intitulée « Le Pont », où l’on pouvait lire : « Sans la main de Lia, cette page n’aurait jamais été écrite. »
- Même un grand livre de philosophie, très épais et poussiéreux, contenait dans un chapitre sur la Transmission une phrase marginale : « L’acte de pure générosité est la seule preuve concrète que l’éphémère peut engendrer l’éternel. (Pensée inspirée par l’ombre d’un parapluie offert). »
« Vous voyez, » murmura Lia, « la mort ne peut détruire que ce qui est contenu dans mon enveloppe. Mais elle n’a aucune prise sur ce que j’ai semé hors de moi. En mourant à moi-même, j’ai fleuri chez les autres. »
Le livre de Lia se dissipa alors. Mais il ne rejoignit pas la section des Vides. Il se transforma en une myriade de particules lumineuses qui allèrent se déposer délicatement sur les pages de tous les livres qu’elle avait touchés par son Amour.
L’archiviste comprit alors. La vraie immortalité n’était pas de ne pas mourir, mais de ne jamais être totalement effacé. Elle résidait dans l’Écho laissé dans le cœur et la vie des autres.
À partir de ce jour, il changea le nom de l’Archive des Finitudes. Il l’appela : La Bibliothèque des Échos. Et, au lieu de s’apitoyer sur les pages arrachées, il passa le reste de sa vie à chercher dans les volumes les marques de l’Amour donné, sachant qu’elles étaient la seule histoire qui ne finirait jamais vraiment.
Moralité : La mort met fin à l’individu, mais l’amour est la seule trace qu’il nous est donné de tisser dans le tissu du monde. C’est en se donnant que l’on s’inscrit au-delà de sa propre page.

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