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La question de prendre distance de la loi n’est pas un appel à l’anarchie, mais une exigence philosophique et humaine fondamentale. Elle interroge l’équilibre délicat entre la nécessité de l’ordre social (la Loi) et la souveraineté de la conscience individuelle et de la morale (l’Éthique).


1. Peut-on Prendre Distance de la Loi ? L’Autorisation Humaine

Oui, l’être humain peut prendre distance de la loi, et il le fait de plusieurs manières, souvent légitimes ou historiquement reconnues :

  • L’Objection de Conscience : C’est la forme la plus institutionnalisée de la distance. Un individu refuse d’appliquer ou de se soumettre à une loi (ex: service militaire, certaines procédures médicales) car celle-ci contrevient à ses convictions morales ou religieuses profondes. C’est un droit qui reconnaît que la conscience précède le code.
  • La Désobéissance Civile : Théorisée par Henry David Thoreau et pratiquée par des figures comme Gandhi ou Martin Luther King Jr., elle consiste à enfreindre publiquement et pacifiquement une loi que l’on juge injuste, tout en acceptant volontairement la sanction. Son but n’est pas de détruire la loi, mais de la réformer en éveillant la conscience collective.
  • Le Droit Naturel et l’Éthique : Pour de nombreux philosophes (de Sophocle avec Antigone à la théorie du Droit Naturel), il existe des principes universels de justice et d’humanité supérieurs aux lois positives (celles écrites par les hommes). Lorsqu’une loi positive contredit ces principes (ex: lois raciales, lois d’apartheid), la distance n’est pas seulement possible, elle devient un devoir éthique.

2. Doit-on Prendre Distance de la Loi ? L’Impératif Moral

Prendre distance de la loi devient un devoir moral dans des cas précis, lorsque la loi cesse de remplir sa fonction de garante de la justice et de la dignité humaine.

Les Cas où la Distance est Impérative :

  1. L’Injustice Fondamentale (La Loi Inique) :
    • Description : La loi est manifestement contraire aux droits humains fondamentaux, à l’équité ou à la dignité de la personne.
    • Exemples : Les lois qui institutionnalisent l’esclavage, la ségrégation ou la persécution. Dans ces cas, l’obéissance devient une complicité avec le mal.
  2. La Loi Figée ou Obsolète (L’Anachronisme) :
    • Description : La loi, bien qu’ayant pu être juste à son époque, est dépassée par l’évolution morale, technologique ou sociale (ex: loi surannée sur les mœurs, réglementation dépassée par la science).
    • Cas : Le légalisme (l’adhérence aveugle à la lettre) devient alors un obstacle au bien commun et au progrès. La distance est nécessaire pour forcer son actualisation.
  3. L’Application Déraisonnable (La Rigidité Absolue) :
    • Description : La loi est globalement juste, mais son application stricte dans une situation particulière produit une injustice flagrante ou un dommage démesuré (principe de l’équité).
    • Cas : C’est le rôle du juge de faire preuve d’équité, mais aussi le devoir du citoyen de signaler la démesure de l’application.

3. Les Causes de la Défaillance Législative

Si la loi oblige à prendre distance, c’est que quelque chose dans son élaboration ou son essence a échoué. Les causes principales de cette défaillance sont :

  • L’Instrumentalisation Politique : La loi est détournée pour servir les intérêts d’une minorité ou d’un pouvoir oppressif, au lieu d’être au service du bien commun (ex: tyrannies).
  • L’Absence d’Éthique (Le Code Sans Âme) : Une loi qui ne prend en compte que la technique ou la procédure, ignorant l’aspect humain (la vulnérabilité, la souffrance, la singularité des situations).
  • L’Oubli de la Finalité : La loi est créée pour maintenir l’ordre et assurer la justice, mais lorsque le moyen (la règle) devient l’objectif unique, on oublie la finalité ultime qui est l’épanouissement humain.
  • L’Erreur Humaine : Simplement, le législateur est humain et faillible. Une loi, même bien intentionnée, peut s’avérer imprécise, lacunaire ou avoir des conséquences imprévues.

En fin de compte, la distance critique face à la loi est le signe de santé d’une démocratie et la marque de la responsabilité morale de l’individu. La loi fournit la structure, mais l’éthique lui donne son sens et son âme.

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