Dans une ville entourée d’un mur épais, vivait un jeune homme nommé Élio. Élio était fier de sa maison : elle était petite, confortable, et surtout, bien rangée. Chaque livre était à sa place, chaque idée était classée, et il avait une règle d’or : jamais de poussière, jamais de surprises.

Un jour, Élio reçut une invitation étrange. C’était un parchemin qui sentait le vent du large. Il l’invitait à visiter la Bibliothèque Infinie, située au sommet d’une colline juste au-delà des remparts.

Élio était enthousiaste. Il aimait les livres, il aimait savoir. Il prit son sac et se dirigea vers l’unique porte du mur.

Il trouva devant le seuil un vieux Gardien au visage ridé, assis sur un tabouret. L’homme, qui semblait avoir vu toutes les aubes du monde, ne lui demanda pas son nom, mais son Sac.

« Pour entrer, jeune Élio, il te faut passer par cette Porte. Mais elle est très étroite. Ton sac est trop gros. »

Élio regarda son sac. Il était rempli de ses objets les plus précieux :

  1. Le livre intitulé : « Tout ce que je sais est vrai. »
  2. La boussole qui pointait toujours dans la direction de « Mon opinion. »
  3. Le miroir qui reflétait uniquement « Mon bon droit. »
  4. Une collection de pancartes : « C’est comme ça et pas autrement », « Ils ont tort », « C’est la seule solution ».

« Je ne peux pas jeter mes connaissances ! » protesta Élio. « C’est tout ce qui fait de moi quelqu’un d’intelligent ! »

Le Gardien sourit tristement. « Mon enfant, la Bibliothèque Infinie est remplie de milliards d’histoires et de vérités. Si tu entres avec l’idée que tu sais déjà tout, comment pourras-tu y ajouter quoi que ce soit ? La Porte est étroite, car elle n’a de place que pour ta personne, pas pour ton jugement. »

Le Gardien expliqua :

« Laisse ton livre « Tout ce que je sais est vrai ». Tu le retrouveras à l’intérieur, mais avec une nouvelle couverture : « Tout ce que j’apprends est provisoire ». »

« Laisse ta boussole. Dans cette Bibliothèque, tu auras besoin de milliers de directions, et non d’une seule. »

« Laisse ton miroir. Si tu n’y vois que ton propre bon droit, tu seras aveuglé par le reflet et tu ne verras jamais les autres. »

Élio hésita. Lâcher ces objets, c’était se sentir nu, vulnérable. Mais la promesse de la Bibliothèque Infinie était trop belle. Avec un soupir, il déposa ses pancartes, son miroir et sa boussole. Il garda juste son livre, mais changea lui-même le titre : « Ce que je crois pour l’instant. »

Il se glissa par la porte étroite, laissant le Gardien ramasser les objets abandonnés.

Une fois de l’autre côté, le monde était… différent. L’air était vif. Il arriva à la Bibliothèque.

Elle était immense. Des rayonnages montaient si haut qu’ils disparaissaient dans les nuages, et des livres y étaient écrits dans toutes les langues : celles des marchands, celles des savants, mais aussi celles des cœurs simples, des poètes, et même des arbres et du vent.

Élio prit un livre au hasard, écrit par un homme dont les coutumes lui semblaient absurdes. Il ne le jugea pas ; il le lut, simplement pour comprendre. Il sentit alors son propre livre, « Ce que je crois pour l’instant », se mettre à vibrer doucement. La nouvelle histoire s’y ajoutait, non pas en remplaçant la sienne, mais en créant une nouvelle page de nuances et de complexité.

Il réalisa que le vrai bonheur n’était pas d’avoir un sac plein de certitudes, mais d’avoir un esprit capable de voyager et de s’enrichir sans cesse.

Il comprit que l’étroitesse de la porte n’était pas pour l’exclure, mais pour l’alléger du poids inutile du jugement et de l’arrogance. L’esprit ouvert était le prix de l’entrée, et la Bibliothèque Infinie était l’humilité concrète de celui qui sait qu’il a tout à apprendre.

Chaque soir, avant de rentrer dans la ville, Élio repassait par la Porte Étroite. Il saluait le Gardien, et ses pas étaient plus légers, car il avait compris que l’esprit le plus vaste est celui qui est le plus vide de lui-même, prêt à accueillir l’inconnu, l’autre, et la vérité qui se révèle dans la beauté de leur rencontre.

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