L’évangile de Luc (13, 1-9) nous place devant une double interpellation. Il commence par le choc des faits divers (le massacre des Galiléens, la chute de la tour de Siloé) pour aboutir à l’image puissante d’un figuier menacé d’abattage. Ce passage n’est pas une leçon sur la théodicée (pourquoi le mal existe-t-il), mais un appel pressant et profond à la conversion personnelle face à l’inéluctabilité du temps et du Jugement.

I. Le Refus de la Causalité Punitive

Jésus démonte immédiatement une théologie populaire et dangereuse : lier la souffrance et la mort à une culpabilité particulière.

Les contemporains de Jésus, comme nous le faisons souvent, cherchaient une explication simple : les victimes des tragédies (massacre politique ou accident de chantier) devaient être « de plus grands pécheurs » que ceux qui survivaient. En niant cette causalité directe, Jésus nous libère d’un Dieu comptable qui distribuerait le malheur en fonction du casier judiciaire. Le mal arrive aux justes comme aux injustes.

L’Urgence n’est pas ailleurs, elle est en Moi.

L’interpellation de Jésus — « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous également » — est radicale. Elle déplace le focus : la seule véritable catastrophe pour l’être humain n’est pas de subir un malheur, mais de le subir sans s’être réconcilié avec Dieu et avec soi-même. L’urgence de la conversion est universelle et n’attend pas d’être confrontée à un drame personnel. Nous sommes tous mortels ; le temps accordé est un temps de grâce qu’il faut saisir.

II. Le Sursis : Période de Grâce et de Labourd

C’est dans cette perspective d’urgence que Jésus introduit la parabole du figuier stérile. Le figuier, image classique d’Israël, mais aussi de toute âme, est jugé.

Le Juge et l’Intercesseur

  1. Le Propriétaire (Dieu le Père) : Il est dans son bon droit. Le figuier a eu le temps (trois ans, peut-être l’image des trois ans du ministère de Jésus, ou du temps de la patience divine). Le jugement est basé sur la stérilité. Le figuier « épuise le sol » (v. 7), symbolisant qu’une vie sans fruit n’est pas seulement inutile à elle-même, elle est préjudiciable à la Création et à la communauté. Elle consomme les ressources (la grâce, la vie) sans rien restituer.
  2. Le Vigneron (le Christ) : Il plaide pour un sursis. Son intercession est une manifestation suprême de la miséricorde. Mais cette grâce n’est pas passive ; c’est un engagement à l’action : « Je bêcherai la terre et y mettrai du fumier. »

Le prix de la Miséricorde

C’est là que réside l’approfondissement du texte : le sursis est un appel à la coopération. Le Christ ne demande pas à Dieu de pardonner la stérilité sans conditions ; il demande le temps de travailler le figuier.

  • Le Bêchage : Le travail en profondeur, qui peut être douloureux. C’est la pénitence, la remise en question, le fait de laisser la Parole de Dieu et les épreuves de la vie aérer et renouveler les racines de notre cœur.
  • Le Fumier : L’apport nutritif et souvent ingrat. Ce sont les sacrements, la prière intense, l’aide fraternelle, l’humiliation acceptée. C’est tout ce qui, d’apparence peu glorieuse, va nourrir notre croissance spirituelle.

Le figuier doit accepter d’être travaillé, secoué, fertilisé pour pouvoir enfin porter du fruit.

III. L’Authenticité du Fruit

L’évangile nous oblige à nous demander : Quel est le fruit que Dieu attend de moi ? Ce n’est pas la performance religieuse, mais l’authenticité d’une vie transformée :

  • C’est le fruit de la repentance, qui se manifeste par un changement concret de direction (ne plus juger, pardonner, se donner).
  • C’est le fruit de l’Esprit (Galates 5, 22) : Amour, Joie, Paix, Patience, Bonté, Bienveillance, Fidélité, Douceur, Maîtrise de soi.

Notre vie se joue dans cette année de sursis. La Miséricorde n’est pas un oubli du jugement, c’est une occasion offerte pour nous engager dans le labeur de notre propre conversion. Le Christ ne nous a pas seulement sauvés de la mort, il nous a donné les outils pour une vie féconde. Il a labouré la terre de l’humanité par sa Croix et nous a fertilisés par son Esprit. À nous, figuiers, de ne pas laisser ce don précieux « épuiser le sol ».

Le jugement, à la fin, ne portera pas sur la taille de nos malheurs ou de nos réussites, mais sur la quantité et la qualité du fruit que nous aurons accepté de produire pendant le temps de grâce qui nous a été accordé.

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