I. Le Domaine d’Airain

Il était une fois, au bord d’une côte sauvage, une falaise immense et sombre, faite d’une roche qu’on appelait Airain. Cette falaise, c’était le Domaine de l’Immuable, l’incarnation de la rigidité et du temps. Elle ne réagissait jamais aux vagues, aux vents, ni aux saisons. Elle se tenait là, massive et indifférente.

À ses pieds s’agitait l’océan, et dans cet océan vivait un tout petit Galet de Silex du nom de Kéo. Kéo était si petit qu’il se perdait parmi les milliards d’autres grains de sable. Kéo était porté par une unique conviction, une obsession simple et folle : il voulait façonner la Falaise d’Airain.

II. La Supplique Muette

Chaque jour, à marée haute, la mer projetait Kéo contre le mur de roche.

« Donne-moi une place ! » criait Kéo dans le fracas des vagues. « Laisse-moi une seule petite marque, une preuve que tu me reconnais ! »

La Falaise d’Airain ne répondait jamais. Elle ne ressentait rien. Pour elle, Kéo n’était qu’une agitation bruyante, une nuisance microscopique.

Les autres éléments se moquaient de lui.

« Regarde Kéo, le Galet fou ! » ricanaient les Vagues puissantes. « Tu es une idée fugace contre l’éternité ! » « Pourquoi t’obstiner ? » soupirait le Sable en roulant. « Laisse-toi polir et deviens lisse, accepte ton sort ! »

Kéo était fatigué. Son propre silex s’ébréchait. Il se disait parfois : « À quoi bon ? La Falaise est trop grande, je suis trop petit. Je devrais simplement m’échouer et me taire. »

Mais au moment où il sombrait, Kéo se rappelait son but. Il ne cherchait pas à détruire la Falaise, mais à obtenir une reconnaissance, un passage, une réponse de cette indifférence froide.

III. Le Principe de l’Usure

Alors, Kéo continua. Pas avec la force brute des tempêtes – car la force, la Falaise la repoussait – mais avec la régularité du retour.

Chaque vague, Kéo était là. Chaque marée, Kéo frappait le même point. Chaque jour, il transformait l’épuisement en un nouvel acte de volonté.

Les mois devinrent des saisons, puis des années. Le temps passait, et la Falaise, toujours aussi impassible, ne montrait aucun signe extérieur de changement.

Pourtant, un jour, un vieux Lichen, qui avait passé un siècle incrusté près de l’endroit où Kéo frappait, parla : « Tu as réussi, petit Galet. Regarde. »

La Falaise d’Airain était toujours là, fière et dominante. Mais, juste au niveau de la marée, un détail infime était apparu : une micro-encoche, à peine visible.

Le juge, l’Immuable, n’avait pas décidé de céder. Il avait été usé. L’indifférence avait été vaincue, non par un coup de marteau, mais par la répétition inlassable d’un élément minuscule. La Falaise avait dû lâcher un atome de sa dureté pour se débarrasser de l’effort constant que Kéo lui imposait.

IV. La Marque de la Foi

Kéo comprit alors la leçon : l’objectif de la persévérance n’est pas toujours la victoire éclatante. C’est de rendre l’indifférence plus coûteuse que l’acquiescement.

Le vieux Lichen conclut, d’une voix rauque :

« Le monde, Kéo, est une Falaise d’Airain. Elle se tait, non par malice, mais par sa nature. Ce que tu demandes, que ce soit une place, un droit, un changement, elle ne te le donnera pas par bonté. Elle te le donnera parce que tu auras prouvé, par ta constance, que tu ne partiras pas. La vraie question n’est pas : Quand la Falaise cédera-t-elle ? Mais : Combien de temps peux-tu continuer de frapper ? »

Kéo, heureux, continua son travail, sachant maintenant que chaque retour, chaque cri, n’était pas un effort vain, mais la preuve que la force la plus durable n’est pas le poids, mais la volonté inépuisable.

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