La plupart d’entre nous associent spontanément la joie à la réussite. Quand un projet se concrétise, quand notre travail est reconnu, quand les autres nous félicitent, nous ressentons une légitime satisfaction. Mais cette joie, aussi belle soit-elle, reste fragile : elle dépend de conditions extérieures que nous ne maîtrisons pas toujours.

Le récit ancien de Lc 10, 17-24 nous suggère un déplacement : ne pas réduire notre bonheur à l’éclat des victoires visibles, mais chercher une joie plus profonde, qui résiste aux échecs et traverse le temps. Ce conseil est d’une étonnante actualité.
1. La tyrannie de la performance moderne
Nous vivons dans un monde obsédé par la réussite mesurable : diplômes, promotions, réputation en ligne, nombre de followers. Les réseaux sociaux en sont l’illustration parfaite : une photo qui recueille des centaines de « likes » nous gonfle d’orgueil, tandis qu’un silence numérique peut nous plonger dans le doute. De même, dans le monde professionnel, une évaluation positive nous rassure, mais une remarque négative peut suffire à nous fragiliser.
Cette dépendance au regard des autres crée une joie instable : elle monte vite, mais retombe aussitôt. C’est une joie de surface, soumise à la loi du marché de l’image et de la performance.
2. La limite des succès extérieurs
Il est naturel d’être fier d’un examen réussi, d’un projet mené à terme, ou d’une reconnaissance publique. Mais réduire notre bonheur à ces événements revient à construire sur du sable. Que se passe-t-il quand survient l’échec, le chômage, la critique injuste, ou simplement l’indifférence des autres ?
L’expérience montre que nombre de personnes, après avoir atteint un objectif important (par exemple une promotion ou l’achat d’une maison), ressentent un vide intérieur. Comme si la réussite, une fois obtenue, perdait son pouvoir de combler durablement.
3. Vers une joie plus profonde
La sagesse du texte invite à chercher une joie qui ne dépend pas uniquement de l’extérieur. Une joie enracinée dans ce que nous sommes, et non dans ce que nous possédons ou accomplissons.
Cette joie profonde peut se nourrir de plusieurs attitudes :
- L’acceptation de soi : reconnaître que nous avons des limites et que nous ne serons jamais parfaits. Cette lucidité libère du poids de la comparaison.
- La gratitude quotidienne : prendre le temps de savourer un sourire, une rencontre sincère, un paysage, un moment simple. Ce sont ces petits instants qui tissent une joie durable.
- L’authenticité : vivre selon ses valeurs, même si cela ne rapporte pas immédiatement prestige ou reconnaissance. Une personne qui choisit un métier moins rémunérateur mais en accord avec ses convictions expérimente souvent une joie plus stable que celui qui se laisse enfermer dans un rôle qui ne lui correspond pas.
4. Un exemple concret : le sport et l’art
Prenons l’exemple du sport. Un athlète peut trouver une joie intense dans la victoire. Mais s’il fonde tout son bonheur sur la médaille, il vivra dans l’angoisse permanente de la perdre. En revanche, celui qui aime profondément son sport, qui trouve du plaisir dans l’entraînement quotidien, dans le dépassement de soi, dans l’esprit d’équipe, vivra une joie plus stable, même s’il ne gagne pas toujours.
De même, un artiste peut souffrir s’il attend uniquement l’approbation du public. Mais s’il crée avant tout pour exprimer ce qu’il est, son œuvre devient une source de joie intérieure, même dans l’anonymat.
Conclusion
La vraie question n’est pas de savoir si nous réussirons ou échouerons – car la vie comporte les deux. La question est : avons-nous une source de joie indépendante des circonstances ?
Chercher une joie profonde, c’est apprendre à ne pas s’identifier uniquement à ses performances, mais à se réjouir d’exister, de créer, d’aimer, d’être en lien avec les autres et avec soi-même. C’est cette joie-là, stable et intérieure, qui peut nous accompagner dans la durée, même lorsque les lumières de la scène s’éteignent.

Laisser un commentaire